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Saad BENAMAR

Enseignant-Chercheur - Université Sidi Mohamed Ben Abdellah de Fès - Maroc

Pourriez-vous nous présenter votre contexte de travail et le type de recherches menées dans votre laboratoire des Sciences environnementales, végétales et urbaines ?

Nous travaillons sur le très grand bassin hydraulique de Sebou au Maroc. Il  démarre dans le château d’eau du Maroc qu’est le Moyen Atlas et va jusqu’à l’Atlantique. Le périmètre de ce bassin couvre 4 grandes villes du Maroc et 5 universités.

Actuellement, nous avons une dizaine d’étudiants qui mènent des recherches sur des thèmes variés. Ils sont répartis en 3 équipes de recherche. L’une s’intéresse spécialement à l’eau et les 2 autres équipes plutôt à la biodiversité en général. Nous réalisons de nombreuses études botaniques, pour l’usage des plantes aquatiques dans  l’évaluation de la qualité écologique des eaux de rivières.  

Un étudiant va d’ailleurs prochainement soutenir sa thèse sur cette question centrale de la qualité écologique de l’eau, dans un immense bassin comme celui de Sebou, par l’usage des macrophytes. Des indices européens et américains multiples existent dans ce domaine. Mais, il nous faut les adapter à notre contexte hydrologique et bioclimatique. C’est la tâche à laquelle on s’est attelée depuis 8 ans et on est en train d’adapter ce type d’instruments de mesure écologique.

Comment la recherche est-elle structurée au Maroc et contribue-t-elle à la mise en place de politiques publiques ? 

Jusqu’à il y a peu,  la recherche n’était pas très structurée au Maroc, ni à l’échelle nationale, ni à l’échelle régionale. Elle relevait plus d’actions individuelles des chercheurs qui, selon leurs spécialités, soit prolongeaient leurs recherches, soit  en développaient d’autres, au gré des financements et des thèmes des appels à projets.
Aujourd’hui, la recherche est plus structurée et des axes prioritaires sont mieux définis, à l’échelle nationale. Dans le domaine des sciences exactes, tout ce qui est lié à l’environnement fait partie du grand défi qui se pose au Maroc.


En effet, de très nombreux rapports identifient le Maroc comme l’un des pays qui sera parmi les plus touchés par le changement climatique. Toutes les recherches menées sur l’adaptation et l’atténuation de son impact sont donc importantes.


L’agriculture, secteur d’activité central au Maroc va être directement très impacté par une pénurie importante d’eau. Il va devoir s’adapter. Doté de peu de réserves énergétiques, comme le pétrole par exemple, le Maroc s’est tourné depuis longtemps vers les énergies renouvelables.


Dans ce domaine, nous avons des projets pilotes reconnus à l’échelle internationale. La station d’énergie solaire de Ouarzazate en est un exemple.


Le Maroc s’est évidemment intéressé depuis longtemps à l’eau en tant que ressource. Une politique de construction de barrages a été initiée par le Roi Hassan II, il y a plus de 50  ans. Un prix international porte d’ailleurs son nom, en signe de reconnaissance de cette vision avant-gardiste à l’époque.
Aujourd’hui, avec le changement climatique, le Maroc connait une forte dynamique de recherche de solutions pour tenter de conserver, préserver et mieux utiliser cette ressource vitale, tout en garantissant sa qualité.

Comment le scientifique que vous êtes peut-il contribuer à une prise de conscience de ses concitoyens et à l’élaboration de solutions pour relever ces défis environnementaux du Maroc ?

La nécessité de la recherche scientifique est évidente. On ne peut avancer sans avoir des bases solides sur les plans scientifique et technique, notamment par la donnée qui est un élément central, fondamental.


L’interface entre le scientifique et le décideur ou gestionnaire politique, est une réelle difficulté, dans de nombreux pays et, pas uniquement dans les pays en développement.


Au Maroc, la solution que l’on a trouvée en tant que scientifique et chercheur, c’est d’agir à travers le secteur associatif.


En parallèle, de nos activités de recherche, on s’est tourné vers ce secteur pour faire le relai entre ce qui est scientifique et, différentes parties prenantes telles que les citoyens et les décideurs locaux et nationaux.
Je crois que cette démarche, qui ne fonctionne certes pas à 100%, est un outil de travail très important, porteur de résultats.


A travers le monde associatif, nous arrivons à transmettre des messages simples et accessibles, après décodage et transposition de notre jargon scientifique, pour faciliter la compréhension de la société et des citoyens. Cela permet aussi de diffuser des informations auprès des politiques, pour nourrir leur réflexion.  
A Fès par exemple, nous avons travaillé à la mise en place d’un jardin botanique qui va bientôt voir le jour. Après avoir émis cette idée, on a créé l’« Association du Jardin botanique de Fès », dans laquelle des citoyens et des scientifiques sont impliqués. En effet, nous avions très vite compris que, pour convaincre les politiques, qui d’ailleurs changent au gré des élections, et pour faire aboutir ce projet, nous devions nous organiser.
Dans notre laboratoire de recherche nous menons des études sur la biodiversité, mais, cette matière, à elle seule, ne peut pas suffire. Sur ce projet, nous sommes parvenus à mobiliser des scientifiques, des citoyens et, des élus locaux et nationaux.


Je suis également membre fondateur et président du « Forum marocain des initiatives environnementales » qui mène beaucoup d’actions, régulières à dates fixes et plus ponctuelles, pour sensibiliser et « éduquer » le grand public, enfants, adultes et même des politiques aux questions environnementales.
Se focaliser exclusivement sur les enfants et les jeunes ne nous parait pas pertinent car, d’ici qu’ils atteignent l’âge d’être en position de prendre des décisions, on perdrait beaucoup de temps et des choses irrécupérables !
Les décideurs d’aujourd’hui ont entre leurs mains, le pouvoir de sauver ce qui peut encore l’être.
Par exemple, depuis 2009, tous les 03 juillet date de la Journée mondiale sans sacs plastique, nous décernons le « Prix environnemental » du Forum marocain des initiatives environnementales. Chaque année, nous organisons donc un évènement grand public et festif.
On y décerne 12 Prix pour récompenser des initiatives locales et nationales sur diverses thématiques : la recherche scientifique, les médias liés à l’environnement, l’éducateur ou animateur engagé dans l’environnement, « la main verte » pour un jardiner d’exception, un jardin d’établissement publique scolaire, universitaire ou autre, les plus beaux balcons fleuris etc.


Nous avons un Comité de sélection qui décerne ces Prix mais notre action a avant tout une vocation pédagogique et incitative, plutôt que pécuniaire.

Quels sont les plus grands défis auxquels le Maroc est confronté en matière d’environnement ? Comment les scientifiques, des sciences dites « exactes » et sciences sociales, peuvent-ils contribuer à les relever ?

Je vais laisser de côté les aspects matériels, l’activité économique en général, car je crois que LE sujet fondamental, que LE grand défi, c’est l’éducation et notamment l’éducation à l’environnement.
Avec ses cités millénaires, le Maroc a eu une grande tradition de respect de l’environnement et d’adaptation aux conditions sévères de l’environnement, dans certaines régions du sud par exemple. Mais, au cours des 3 dernières décennies, cette conscience environnementale s’est perdue progressivement. Nous devons donc fournir un effort pour nous la réapproprier.


On parle beaucoup de la raréfaction de l’eau et de sa quantité mais, la question de la pollution se pose également. Il y a un réel problème d’usage de l’eau. Par le passé, l’eau était sacralisée à plus d’un titre et on l’utilisait à bon escient. Cela s’est perdu et nous avons donc le devoir de ramener la population à une conscience plus forte du rôle que chacun peut jouer, à son échelle. Il y a évidemment l’usage agricole qui est dans l’excès. Il va nous falloir généraliser le goutte à goutte pour économiser l’eau.


Il faut aussi parler des solutions basées sur la nature, les techniciens ont également un rôle à jouer.
J’ai évoqué la politique de construction de nombreux barrages nécessaire à l’époque. Il aurait toutefois fallu mener conjointement une politique de protection des bassins versants avec la plantation massive d’arbres,  par exemple. Cela devrait être mené très vite aujourd’hui car, une grande partie de ces barrages sont ensablés à cause de l’érosion et de l’absence de cet effort conjoint.


Nous rencontrons également un grand problème lié à la surexploitation de la  forêt par des lobbies. Pour le bois en lui-même, car nous avons des bois assez nobles au Maroc, comme le cèdre de l’Atlas ou l’arganier qui est une plante endémique.


Cette surexploitation est également due au secteur de l’immobilier qui brule des forêts pour bâtir. Ce sont des entreprises locales, mais aussi des multinationales du secteur du tourisme qui installent de grands complexes, aux dépends de forêts, de sites d’intérêt biologique et de zones humides.


Le Maroc doit également relever le défi de l’énergie. Nous développons les énergies renouvelables mais, à moyen terme, elles ne vont pouvoir couvrir que  25 ou 30% de nos besoins nationaux.
Là encore, il faut éduquer à la réduction de l’usage des énergies fossiles pour le transport, le chauffage et la climatisation par exemple.


Dans le domaine de ce que l’on appelle aujourd’hui « l’éco-construction », le Maroc a un héritage important que l’on a malheureusement perdu. Nous avions beaucoup de modèles de construction avec des matériaux locaux comme la terre et la paille qui permettent une isolation thermique gratuite. On a abandonné ces méthodes pour le béton armé qui est très mal adapté aux conditions climatiques du Maroc.


Il y a donc matière à repenser nos techniques ancestrales pour les adapter, les moderniser et ainsi les réutiliser. Le béton armé est couteux en lui-même. Il implique des coûts et une pollution liés au transport. De plus, il rend les habitations invivables pour les habitants, en hiver comme en été.


Nous devons nous réapproprier notre héritage écologique et civilisationnel au Maroc, comme dans bien d’autres pays. C’est un patrimoine à valoriser et à faire revivre !  

Pays
Source
Interview réalisée lors de la Conférence EURO-RIOB 2019 – Du 17 au 20 juin 2019 à Lahti (Finlande) - ©RIOB 2019